Wednesday, May 10, 2006


L’occupation Bronze final 2B du site de
Mondragon – Les Juilléras (Vaucluse)


Olivier Lemercier et Christophe Gilabert
avec la collaboration de Jean-François Berger et Patrick Mellony


1. Le site

Le site des Juilléras a livré des vestiges témoignant de sa fréquentation depuis le Néolithique ancien, jusqu’au premier siècle de notre ère. Un secteur bien conservé a permis la fouille d’un ensemble de structures correspondant à une succession d’occupations du Néolithique récent au Bronze final 2b.
Quelques vestiges mobiliers, mis au jours lors de la phase d’évaluation, témoignent de la fréquentation du secteur au Bronze final I (renseignement oral J. Vital), Il s’agit des fragments de deux petits vases de forme biconique à carène marquée (sans être vive) et lèvre éversée. Aucune structure, ou niveau de sol conservé n’ont pu être repérés pour cette période.
Dans la partie nord de la fouille, une structure isolée a pu être fouillée. Il s’agit d’une structure de combustion à galets chauffés attribuable au Bronze final 2b, qui doit correspondre à une aire d’activité particulière à rattacher à l’important site d’habitat de Laprade (Lamotte-du-Rhône, Vaucluse) situé 250 m au nord (Billaud 1999).
Le cadre naturel et l’historique des recherches ont été présentés à l’occasion de l’étude des occupations néolithiques (cf. infra article spécifique).

2. Implantation de l’occupation du Bronze final 2B

Les observations géoarchéologiques montrent que l’implantation du Bronze final se fait après un important exhaussement de la plaine alluviale, parfois proche de 50 cm suivi d’une pédogenèse calcique marquée par la formation d’un horizon carbonaté à nodules millimétriques qui a recouvert et scellé toutes les traces des occupations antérieures.
Une unique structure attribuée à l’occupation du Bronze final a été mise au jour isolée de tout contexte, dans un secteur marqué par l’absence d’autres structures et de sol archéologique conservé, à l’extrémité nord de la fouille. Rien ne permet de juger de l’effectif isolement de cette structure en raison de la proximité de la berme bordant la fouille au nord. En effet, cette structure pourrait appartenir à un ensemble plus important se développant vers le nord à l’extérieur de la surface étudiée.

3. La structure

Il s’agit d’une grande fosse ovalaire de 3,2 mètres de longueur pour 1,1 mètre de largeur, peu profonde (0,35 mètre au maximum). Cette structure est orientée nord-nord-est / sud-sud-ouest.

Le remplissage se compose de trois niveaux distincts :
- Le niveau supérieur, conservé au maximum sur 0,1 mètre d’épaisseur, est composé d’un sédiment brun foncé qui a livré un abondant mobilier archéologique. Ce niveau est conservé sous la forme d’une lentille dans la partie centrale de la structure.
- Le niveau intermédiaire, d’une puissance moyenne de 0,2 mètre, présente une nappe très dense de galets entiers ou fragmentés. Les galets entiers peuvent atteindre 20 à 25 cm de diamètre, la taille moyenne étant cependant de l’ordre de 10 à 15 cm, mais ils sont rares et conservés uniquement dans la partie périphérique de la structure. Dans la partie centrale, qui présente un net tassement, ne subsistent que des fragments de galets permettant de restituer des blocs de volume identique à ceux conservés en périphérie. Ces galets, de diverses natures et couleurs, ne semblent pas avoir fait l’objet d’une sélection, ni pour leur volume, ni pour leur nature.
- Le niveau inférieur d’une puissance maximum de 0,05 mètre est constitué de charbons et de bûches carbonisées. Pour ce niveau aussi, d’importantes différences marquent la partie centrale de la structure, et sa périphérie. La partie centrale présente un lit de charbon, plus ou moins dense et continu, alors que la périphérie est marquée par la présence de bûches carbonisées conservées au contact du fond de la fosse et immédiatement sous les galets les moins éclatés.
Le fond de la fosse présente des traces de rubéfaction discontinue, mais clairement lisibles.

4. Le mobilier archéologique

Le niveau supérieur a livré, directement au contact du niveau de galets une petite série de mobilier céramique et métallique.
Le mobilier n’est pas très abondant mais présente des éléments caractéristiques qui permettent de préciser la datation de l’ensemble.

4.1 La céramique

La surface de la nappe de galets a livré 324 fragments de céramique. La fragmentation est importante à très importante, et très peu de collages sont possibles. 44 fragments de formes ont été observés dans cette série et ne permettent pas de restituer de formes archéologiquement complètes.
La présence de ce mobilier dans le remplissage supérieur de la structure de combustion et sa répartition homogène, résulte soit d’une réutilisation de la structure en dépotoir, soit d’un dépôt naturel par l’érosion des bords de la fosse et du sol d’occupation alentour.
La céramique présente des surfaces
altérées ou peu travaillées et plus rarement un lissage pouvant être soigné. Les pâtes sont généralement sombre avec des tons de gris et de brun, mais quelques objets présentent des pâtes dans des tons de beige à beige rosé. Le dégraissant est bien visible abondant et assez mal calibré. La calcite semble majoritaire mais des particules de diverses natures sont visibles sur de nombreux fragments.
Les formes peu nombreuses sont représentées par un fond plat, de nombreux fragments de bords et de plus rares fragments de carènes ou d’épaulements. Les bords sont marqués par un aplatissement quasi-systématique de la lèvre qui peut présenter des facettes.
Les éléments de décors sont rares et représentés par des impressions sur la lèvre ou sur la panse et par un fragment d’écuelle présentant un décor particulier de cannelures verticales.
Une petite fusaïole, en céramique, de 3,3 cm de diamètre pour 1,4 cm d’épaisseur, est marquée par un renfoncement de sa partie centrale sur une face, dessinant un bourrelet sur le pourtour, et sur l’autre face par une série de petites impressions très dégradées autour de la perforation centrale légèrement conique.

4.2 Le mobilier métallique

Le mobilier métallique est représenté par deux objets de petites dimensions mis au jour séparément directement au contact de la nappe de galets.
Le premier est une petite épingle affectant une couleur bleu turquoise. La tige présente une section circulaire, avec une pointe régulière dans le prolongement. La partie proximale présente un net aplatissement de la tige qui s’enroule d’un tour complet vers l’intérieur.
- Longueur totale : 8,2 cm
- Diamètre maximum de la tige : 0,3 cm
- Largeur de la tige aplatie à l’enroulement : 0,4 cm
Le second est une agrafe ronde d’un diamètre d’environ 2 cm à l’origine. Elle est formée d’une tôle, très fine, qui présente sur sa face supérieure un décor en relief composé d’un bouton central et de deux cercles concentriques, le bord de l’agrafe est marqué par un petit bourrelet moins développé. L’agrafe présente deux pattes opposées, appartenant à la même tôle, repliées sur la face inférieurs de l’objet. La forme et la longueur de ces pattes ne sont pas identiques.

5. Analyse, comparaison et interprétation et de la structure

5.1 La morphologie


La morphologie et le remplissage de cette structure permette de l’interpréter comme une structure de combustion à pierres chauffantes. Un type d’aménagement communément appelé “ four polynésien ” en se référant à une analogie ethnologique.
Ces structures bien connues depuis le Mésolithique se développent durant tout le Néolithique sous des formes assez variées. Les périodes protohistoriques vont également voir se développer ce type de structures de chauffe et cela principalement à la fin de la période, au Bronze final et au 1’âge du fer ou elles sont très fréquentes notamment dans les régions les plus septentrionales de l’Europe.
Sur le plan typologique cette structure est très proche des autres aménagements connu pour la fin de âge du bronze. La forme allongé est presque exclusive, que la structure soit rectangulaire ou ovalaire comme c’est le cas aux Juilléras. Les dimensions sont quant à elle plus variables surtout au niveau des profondeurs, mais nombre de ces structures n’ont pu comme aux Juilléras être mises en relations avec un sol et le niveau d’ouverture reste difficile à reconnaître.
Différents sites ont donc livré des aménagements comparables et à la fin de l’âge du Bronze (la plupart dans des niveaux du Bronze final III). On peut en citer quelques uns où la morphologie des structures est très proche de celle des Juilleras : Camp militaire à Thoraise (25) (Watts & al. 1995), Puy Saint André de Busséols (63) (Tixier & Vital 1985), Terrasse de la Brégoule à Soyons (07) (Beeching & al. 1985), Château-Blanc à Ventabren (04) (Hasler & al. 1996).

5.2 La stratigraphie

Le remplissage de cette structure suit la même logique fonctionnelle que les autres exemples connus. C’est ce remplissage et plus particulièrement la nature et la stratigraphie de ce dernier qui va nous donner des informations sur le mode de fonctionnement et l’utilisation de la structure de chauffe.

La restitution d’une partie de l’histoire fonctionnelle de la structure s’appuie en effet sur l’observation de la chaîne opératoire à l’origine du remplissage, particulièrement bien illustrée par les exemples sub-actuels du four polynésien tahitien et du Pachamanca andin (Gilabert 1997).
En se fondant sur ces deux paramètres on pourrait décrire ainsi le processus de mise en place et le fonctionnement de cette structure:
- Creusement de la fosse
- mise en place du combustible au centre de la structure et allumage
- dépôt des galets, accumulateurs de chaleurs qui sont disposés en tas puis dispersés ; ceux qui se trouvent au centre de la structure sur l’aire de combustion se fragmentant et s’altérant davantage que ceux situés à la périphérie. Lors de cet épandage, des bûches se retrouvent exclues de l’aire de combustion et connaîtront donc une combustion moins complète.
- dépôt de l’objet à cuire que ce dernier soit un aliment ou une céramique et fermeture de la structure
- cuisson
- réouverture de l’aménagement pour extraire ce qui y a été cuit, suivi du comblement la structure avec son propre bouchon et du sédiment environnant
- la structure peut être réemployée en dépotoir, ce qui peut expliquer le matériel retrouvé dans ses couches sommitales.

L’interprétation comme structure de combustion à pierres chauffantes tient principalement à la présence de galets portant de forts thermostigmates jusqu’à l’éclatement pour ceux les plus proches du centre de combustion. A ce sujet, on peut observer que ces galets n’ont fait l’objet d’aucune sélection particulière ni pour leur taille ni pour leur nature pétrographique. C’est d’ailleurs le cas, la plupart du temps, dans ce type d’aménagement pour cette période.

5.3 Les interprétations de fonctionnements

Avant d’appréhender l’utilisation en tant que telle de la structure de chauffe, il convient de rappeler le principe général qui doit présider à l’utilisation de ce type d’aménagement, il est en effet permis de penser que quels que soient les aménagements et la période à laquelle ils appartiennent, le but recherché par les utilisateurs était d’utiliser les propriétés calorifères - de restitution contrôlée de la chaleur - que permettent ce type de structure.
L’interprétation du four enterré pour cuisson à l’étouffée (Vital 1992) exposée ici est la plus probable au vu de la stratigraphie de cette structure. Elle est aussi la plus fréquemment utilisée pour ce type d’aménagement et la plus fréquente dans la littérature archéologique, guidée sans doute par les exemples ethnologiques bien documentés et banalisés.

D’autres utilisations possibles peuvent être envisagée en se fondant aussi bien sur des données archéologiques qu’ethnologiques :
- la grillade d’aliments par contacts direct avec les calorifères ou par l’intermédiaire d’une claie
- le séchage, la torréfaction des céréales ou encore le boucanage.
- l’obtention de vapeur pour des bains de vapeurs curatifs ou purificateur.
- l’utilisation comme four de potier est également envisageable même si techniquement cette structure parait bien mal adaptée à une telle fonction en comparaison des structures connues comme telles à la fin de l’âge du Bronze.

Cette structure de combustion à pierres chauffantes des niveaux du Bronze final 2b s’intègre à un corpus de structures de chauffe important pour la fin de l’âge du Bronze et le début de l’âge du Fer. Sa morphologie et son remplissage en font un des nombreux exemples de ce type d’aménagement pour ces périodes. Son caractère isolé empêche toutefois d’aller plus avant dans l’interprétation de la structure et son statut au sein de l’habitat.
On peut néanmoins, en la comparant aux autres aménagements de ce type connus pour les mêmes périodes penser que tel n’était pas son statut. En effet, dans les périodes protohistoriques ces aménagements sont, le plus souvent, regroupés dans des zones restreintes et souvent de façon linéaire véritables structures spécialisées dans un espace domestique spécialisé, de la même manière ces aménagements peuvent se retrouver à la périphérie de l’habitat proprement dit ce qui pourrait être le cas de cette structure peut-être à relier avec le site de Laprade distant d’environ 250 m.

6. Comparaison et datation du mobilier archéologique

Concernant l’attribution chrono-culturelle, les formes céramiques représentées essentiellement par leur bord à ressaut et des profils segmentés renvoient probablement à des coupes ou des jattes proches de celles décrites par J. Vital pour la grotte des Cloches (Saint-Martin-d’Ardèche, Ardèche) (Vital 1986) ou pour la Baume des Anges (Donzère, Drôme) (Vital 1990a). Le fragment d’écuelle à décor de cannelures peut être comparé à plusieurs vases de la Baume des Anges (Vital 1990a, fig. 38).
L’ensemble de ce mobilier céramique semble faire référence à des séries attribuées au Bronze final 2b. De plus, la parenté de cette série avec celle mise au jour sur le site de Laprade lors de la campagne d’évaluation semble confirmée par les premières publications de la fouille de ce site (Billaud 1998, 1999).
Le mobilier métallique pourra aussi faire l’objet de comparaisons. L’épingle peut être rattachée à la famille des épingles à boucle au sommet, groupe des épingles à tête repliée et précisément au type des épingles à tête enroulée et tige circulaire. Ce type semble apparaître en France dès le Bronze moyen, et il est commun aux 3 phases de l’Age du Bronze final. Pour le la région languedocienne son apparition serait à dater du Bronze final II (grotte du Prével supérieur à Montclus, Gard). Les dimensions de cette épingle rentrent dans la moyenne reconnue entre 6 et 10 cm (Audouze & Gaucher 1981).

7. Nature de l’implantation

La structure est isolée à proximité de la limite nord de la fouille. Le fait que cette structure soit unique ne peut cependant être assuré, d’autres structures de même type pourraient avoir été implantées immédiatement au nord, cependant les sondages réalisés dans cette zone n’ont rien montré pouvant aller dans ce sens, et si cette structure appartenait à l’origine à un ensemble, celui ci devait être très réduit.
La relation de cette structure avec le site d’habitat de Laprade, 250 mètres au nord, si elle ne peut être assurée avec certitude, semble probable. Il s’agit alors d’un cas intéressant de secteur d’activité spécifique implanté en périphérie de la zone d’habitat proprement dite. Cette activité ne peut être précisée puisque aucun élément archéologique n’est susceptible d’indiquer la fonction de cette structure. De plus les raisons de l’isolement par rapport à l’habitat, d’une telle structure, peuvent être nombreuses (activité rituelle ou polluante...).

Conclusions

L’implantation de cette structure de combustion d’un type particulier qui est sans doute à rattacher à une aire d’activité spécifique, en grande périphérie du vaste site d’habitat de plein air de Laprade semble très intéressante dans le cadre de la problématique liée à l’usage de ce type de structure.

Bibliographie

Audouze & Gaucher 1981, AUDOUZE F., GAUCHER G. : Typologie des objets de l’Age du Bronze en France, fascicule VI : Epingles. Société Préhistorique Française, Commission du bronze, Paris, 1981, p. 3, 27-30.

Beeching & alii 1985, BEECHING A., VITAL J., DAL-PRA G. : La terrasse de la Brégoule à Soyons (Ardèche), une séquence majeure pour la Préhistoire Rhodanienne. Ardèche Archéologie, n°2, 1985, p.4-12.

Bel 1996, BEL V. : TGV-Méditerranée : secteur Valence / Avignon, Bilan des opérations archéologiques. Bilan Scientifique de la Région PACA 1995, Service Régional de l’Archéologie, DRAC, Ministère de la Culture, Aix-en-Provence, 1996, p. 303-307.

Billaud 1998, BILLAUD Y. : Laprade : vaste habitat de plaine de l’âge du Bronze final 2b (Lamotte-du-Rhône, Vaucluse, TGV-Méditerranée). Résultats préliminaires. in : D’ANNA A. et BINDER D. (Dir.) : Production et identité culturelle, actualité de la recherche, Actes des Rencontres Méridionales de Préhistoire Récente, deuxième session, Arles, novembre 1996, Editions APDCA, Antibes, 1998, p. 377-391.

Billaud 1999, BILLAUD Y. : Laprade, Lamotte-du-Rhône (Vaucluse) : un habitat de plaine à architecture de terre au Bronze final 2b, BSPF, Tome 96, n°4, 1999, p. 607-621.

Gilabert 1997, Gilabert C. : Le "Four polynésien". Problèmes et interprétations d'un type d'aménagement entre le Mésolithique et l'Age du fer, Université de Provence - U.F.R. Civilisations et Humanité - Département d'Histoire, Mémoire de Maîtrise sous la direction de R. Chenorkian, 1997, 207 p., 51 fig.

Hasler & alii 1996, HASLER A., COLLET H., DURAND C. : Ventabren (Château-Blanc), Bilan Scientifique de la région PACA 1995, Service Régional de l’Archéologie, DRAC, Ministère de la Culture, Aix-en-Provence, 1996.

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Vital 1990a, VITAL J. : Protohistoire du défilé de Donzère, l’âge du bronze dans la Baume des Anges (Drôme). Documents d’Archéologie Française, n°28, Editions MSH, Paris, 1990, 152 p., 57 fig.

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